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Il semblait même plus silencieux, plus sévère et plus méchant que de coutume. Il regardait en dessous et paraissait tout à fait mécontent. Il ne regarda pas son maître, même une seule fois, ce qui, — soit dit en passant, — piqua légèrement M. Goliadkine. Il posa le plateau sur la table, se retourna et se dirigea, sans rien dire, derrière son paravent…

« Il sait… il sait tout, le coquin !… » grommela M. Goliadkine, en commençant à prendre son thé. Mais il ne lui posa aucune question, bien que Pétrouchka revînt plusieurs fois dans sa chambre, sous des prétextes variés.

M. Goliadkine avait l’âme troublée. Il avait peur d’aller à son bureau. Il avait un pressentiment très vif qu’au bureau, tout n’irait pas comme sur des roulettes… « Ne vaut-il pas mieux attendre ?… Qu’ils se chamaillent là-bas comme ils voudront… Aujourd’hui, j’attendrai ici, je rassemblerai toutes mes forces… je réfléchirai mieux à toute cette affaire… Et alors, je saisirai le bon moment, je tomberai sur eux comme la neige tombe sur une tête… Et je serai là-bas, comme s’il n’était rien arrivé… »

Ainsi réfléchissait M. Goliadkine, et il fumait pipes sur pipes. Le temps fuyait. Il était presque neuf heures et demie… « Voilà, il est déjà neuf heures et demie, pense M. Goliadkine… Il est bien tard pour partir… Et puis je suis malade… oui malade… Qui donc oserait dire