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CHAPITRE VI

Le lendemain, à huit heures juste, M. Goliadkine s’éveillait dans son lit, et toutes les aventures extraordinaires de la veille, et les aventures inimaginables de la nuit affolante, réapparurent ensemble et dans toute leur horreur à son imagination. La haine terrible, infernale, que lui portaient ses ennemis, et surtout la dernière manifestation de cette haine aurait dû glacer le cœur de M. Goliadkine. Mais tout était si étrange, si incompréhensible, si sauvage, tout paraissait tellement impossible, que l’histoire lui semblait incroyable. M. Goliadkine inclinait à tout attribuer à un rêve, à un dérangement momentané de son imagination, à l’obnubilation de son esprit. Mais heureusement, il savait par l’expérience amère de la vie, jusqu’où la haine peut pousser l’homme, jusqu’où peut aller la haine d’un ennemi qui venge son honneur et son ambition. De plus, M. Goliadkine sentait ses membres rompus, sa tête nébuleuse, ses reins courbaturés ; un rhume affreux lui témoignait la vraisemblance de tous les incidents de sa promenade nocturne. Enfin, M. Goliadkine savait,