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fut frappé M. Goliadkine, frappé au point qu’il s’arrêta, jeta un cri, voulut parler… Il s’élança à la poursuite de l’inconnu, il lui cria quelques mots pour l’arrêter au plus vite. L’inconnu s’arrêta, à dix pas de M. Goliadkine, sous la lumière du réverbère le plus proche qui l’éclairait tout entier. Il s’arrêta, se tourna vers M. Goliadkine, et d’un air impatient et interrogateur, il attendit.

« Excusez-moi, je crois que je me suis trompé », dit d’une voix tremblante M. Goliadkine.

L’inconnu, silencieux et dépité, se détourna et poursuivit sa route, comme s’il voulait bien vite rattraper les deux secondes que lui avait fait perdre M. Goliadkine. Quant à M. Goliadkine, toutes ses fibres tremblaient, ses genoux fléchissaient, vacillaient, et il s’assit en gémissant sur une des bornes du trottoir. Il avait de quoi être si troublé. L’inconnu lui paraissait maintenant tout à fait connu, bien mieux il le remettait presque complètement. Il le voyait souvent cet homme. Il l’avait vu autrefois, et même très récemment. Où cela ? n’était-ce pas hier ? Mais que M. Goliadkine l’eût vu souvent, ce n’était rien encore. Cet homme n’avait rien de particulier. Au premier instant il n’attirait point l’attention. C’était un homme comme les autres, un homme distingué ; peut-être avait-il même de grandes qualités. Enfin c’était un homme semblable à tous,