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l’ordre… La neige tombe de plus en plus tort, de plus en plus épaisse. On ne voit rien à vingt pas. Le grincement des réverbères est plus plaintif encore. Plus plaintive aussi la chanson du vent, semblable à la supplication d’un mendiant crampon qui demande un sou pour acheter du pain.

« Eh ! eh ! mais que se passe-t-il en moi ? » répète à nouveau ; M. Goliadkine qui se remet en route et regarde encore autour de lui. Et voici, qu’une sensation nouvelle s’insinue en M. Goliadkine. Ce n’est pas la peur… un tremblement de fièvre court dans ses veines. C’est une minute intolérable.

« Eh bien ! ce n’est rien, dit-il pour se rassurer. Eh bien ! ce n’est rien. Peut-être que tout est pour le mieux, et qu’il n’y a là nulle offense à l’honneur, continue-t-il sans comprendre lui-même ce qu’il se dit. Peut-être, peut-être tout s’arrangera-t-il pour le mieux en temps voulu. Personne n’y verra de mal, et tout le monde sera justifié. » M. Goliadkine s’est encouragé par ces paroles ; il se secoue un peu, rejette la couche épaisse de neige qui s’était posée sur son chapeau, sur son col, sur son manteau, sur sa cravate, sur ses bottes ; mais il ne peut encore se débarrasser de ses sentiments étranges, de son obscur ennui. Un coup de canon éclate au loin. « Quel temps ! pense M. Goliadkine… Eh ! eh ! n’y aurait-il pas l’inon-