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auparavant, s’est passé chez M. le conseiller actuel Bérendeiev.

Qui eût observé avec désintéressement, sans en avoir l’air, l’allure triste de M. Goliadkine, eut été aussitôt pénétré de l’horreur de ses mésaventures, et se serait dit que M. Goliadkine semblait vouloir se cacher de lui-même. Oui, c’était ainsi, sans plus : M. Goliadkine désirait non seulement s’enfuir de lui-même, mais aussi s’anéantir complètement, ne plus exister, se changer en poussière. Il ne fait attention à rien, il ne comprend rien, il regarde autour de lui, comme si rien n’existait, ni les aventures de sa nuit malheureuse, ni le long chemin, ni la pluie, ni la neige, ni le vent, ni la tempête. Une galoche s’est détachée de son pied droit. M. Goliadkine reste immobile dans la boue et dans la neige, sur le trottoir du quai de la Fontanka, il ne pense même pas à retourner la chercher, il n’a pas remarqué qu’il l’a perdue. Il est si étourdi que parfois, il s’arrête tout à coup au milieu de l’orage, se souvenant seulement de son terrible échec et s’immobilise comme une borne au milieu du trottoir. Il lui semble alors qu’il meurt, qu’il disparait, puis, tout à coup, il bondit comme un fou, il court, court sans se retourner, il semble fuir devant un ennemi, devant le malheur… car sa situation est terrible. Enfin, à bout de force, M. Goliadkine s’arrête, s’appuie sur le parapet du quai, comme s’il était pris d’un brus-