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l’eau tombait en jets presque horizontaux, comme elle sort des tuyaux des pompiers. Elle piquait et fouettait le visage du pauvre M. Goliadkine comme des milliers d’aiguilles et d’épingles. Dans le silence de la nuit, qu’interrompaient seulement le bruit lointain des voitures, les sifflements du vent, le tremblement des becs de gaz, on entendait le clapotage triste de l’eau, qui coulait des toits, des perrons, sur le granit des trottoirs. Pas une âme en vue. Il semblait qu’à cette heure et par un temps pareil, personne ne pouvait être dans les rues. Ainsi M. Goliadkine était seul avec son désespoir. Il marchait alors sur le trottoir du quai de la Fontanka de son petit pas pressé et courait du plus vite qu’il pouvait à son appartement du quatrième de la rue Schestilavotchnaïa.

La neige, la pluie, les inexprimables agitations de la tempête commençante dans le ciel de novembre de Saint-Pétersbourg, s’attaquent à M. Goliadkine, que ses malheurs accablent déjà. Elles ne lui laissent ni répit, ni repos, le transpercent jusqu’aux os, lui voilent les yeux, lui sifflent au visage, l’écartent du trottoir. Tous les éléments s’unissent contre M. Goliadkine, comme s’ils étaient d’accord avec ses ennemis, pour faire complètes sa journée, sa soirée et sa nuit. Et pourtant M. Goliadkine reste presque insensible à cette dernière persécution du sort, tant il est frappé de ce qui, quelques minutes