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CHAPITRE V

À toutes les horloges des tours de Pétersbourg, minuit sonnait, lorsque M. Goliadkine arriva au quai de la Fontanka, près du pont d’Ismaïlovsky, fuyant ses ennemis, leur persécution, les coups qui l’avaient frappé, les cris des vieilles dames effarées, les ho et les ha des femmes, et les regards meurtriers d’André Philippovitch. M. Goliadkine était mort, mort littéralement, et s’il pouvait encore courir, c’était seulement par miracle ; par un miracle auquel lui-même refusait de croire.

La nuit était terrible, nuit de novembre humide et brumeuse, pluvieuse, neigeuse. Elle portait en elle les fluxions, les rhumes, les fièvres, le typhus, tous les dons du novembre de Saint-Pétersbourg. Le vent sifflait dans les rues désertes, soulevait plus haut que les chaînes du pont, l’eau noire de la Fontanka, frappait les réverbères du quai, qui répondaient à ces sifflements par un grincement aigu, plaintif. C’était le concert infini et tremblant que connaissent tous les habitants de Saint-Pétersbourg. Il pleuvait et neigeait en même temps. Poussée par le vent,