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fête de famille solennelle, solennelle pour son cœur de père. (M. Goliadkine très content de lui promène un regard pénétré, des larmes tremblent au bord de ses cils). Je répète, mon ami, que tu t’es trompé, tu t’es trompé cruellement, impardonnablement… »

L’instant est solennel. M. Goliadkine sent que nul effet ne pouvait être plus sûr. Les yeux baissés modestement, il attend qu’Olsoufi Ivanovitch lui ouvre ses bras.

Les invités sont émus et étonnés. L’inébranlable et terrible Guerrasimitch lui-même n’ose répondre. Tout à coup l’orchestre entonne la polka. Tout est perdu, tout s’embrouille. M. Goliadkine tressaille. Guerrasimitch recule. Tous les invités du salon s’agitent comme les vagues de la mer. Un premier couple s’envole déjà ; c’est Vladimir Séméonovitch avec Clara Oisoullevna, puis un second : le beau lieutenant et la princesse Tchévtchekanov, les spectateurs, curieux et ravis, regardent par groupes les danseurs. La polka était alors une danse passionnante, nouvelle, à la mode et tournait toutes les têtes. M. Goliadkine fut oublié pour un instant ; mais tout à coup, ce fut une agitation, une confusion. La musique s’est tue… C’est un étrange événement, Clara Olsoufievna, fatiguée par la danse, pouvant à peine respirer, les joues brûlantes, la poitrine haletante, à bout de force, tombe dans un fauteuil. Tous les cœurs vont à