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sont, sur le ton le plus distingué, que compliments et phrases profondes. C’est à peine si, au fumoir, ils se permettent quelques écarts de langage, quelque phrase amicale, aimable comme celle-ci : ma vieille crapule, tu as fameusement dansé cette polka. Mais — ô lecteur — j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, ma plume n’est point capable de cet effort, aussi je m’arrête. Revenons plutôt à M. Goliadkine, le seul héros de cette véridique nouvelle. Il est dans une situation plus qu’étrange. Lui aussi est, non pas au bal, mais presque au bal. Que fait-il ? Rien. Mais sa route intérieure n’est pas tout à fait directe. Où est-il ? Cela est étrange. Il est dans le vestibule de l’escalier de service de l’appartement d’Olsoufi Ivanovitch. Il est là ; cela ne signifie rien. Il y est, voilà tout. Il est caché dans un petit coin, pas très chaud mais très sombre, caché par une énorme armoire et un vieux paravent, au milieu des détritus et de la vaisselle. Il se cache en attendant. Il observe les événements comme un spectateur indifférent. Il ne fait qu’observer, messieurs. Mais il pourrait entrer… pourquoi n’entre-t-il pas ? Il n’a qu’un pas à faire… il entrera bien tout à l’heure. Pourquoi rester trois heures au froid, entre l’armoire et le paravent, au milieu de toutes sortes de saletés ? Pour se justifier, il se cite une phrase de l’ancien ministre français : « Tout vient à point à qui sait attendre. »