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ce lieu ne serait guère à propos. Je vous dirai seulement ceci en passant : il y a des hommes, messieurs, qui n’aiment pas les détours et qui ne prennent le masque que pour aller au bal masqué. Il y a des hommes pour qui la destinée humaine ne consiste pas avant tout à se rendre habile dans l’art de polir le parquet avec ses bottes. Il y a des hommes, messieurs, qui ne sont pas heureux et qui ne croient pas leur vie complète quand leurs pantalons tombent bien. Il y a des hommes enfin qui n’aiment pas sauter, flagorner et surtout, messieurs, passer leur nez où on ne le leur demande pas… Messieurs, j’ai presque tout dit, permettez-moi maintenant de m’en aller….

M. Goliadkine s’arrêta. Les deux fonctionnaires étaient pleinement satisfaits, et, très impoliment, ils éclatèrent de rire. M. Goliadkine s’enflamma :

— Riez, messieurs, riez ; en attendant… qui vivra verra, dit-il, d’un air de dignité offensée. Il prit son chapeau et se dirigea vers la porte.

— Mais je dirai plus, messieurs, ajouta-t-il, s’adressant à eux pour la dernière fois. Vous êtes ici avec moi, en tête à-tête, messieurs, ma ligne de conduite n’a pas réussi… je patiente… quand je réussis, je persiste…, en tout cas, je tâche de ne renverser personne. Je ne suis pas un intrigant et j’en suis fier. Je ne serais pas un bon diplomate. On dit encore, messieurs, que