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ment dans la voiture, il n’avait acheté en réalité après toutes ses courses de la matinée qu’une paire de gants et un flacon de parfum de 1 rouble 1/2. Ayant quelque temps devant lui, M. Goliadkine ordonna à son cocher de s’arrêter devant un restaurant très connu de la Perspective Newsky, dont jusqu’à ce jour il avait seulement entendu parler. Il sortit de la voiture et y entra pour y faire un léger goûter et se reposer un peu.

Il goûta, comme goûte un homme qui est invité à un bon dîner, et ne mangea que pour tuer le ver. Il but un petit verre d’eau-de-vie, s’assit dans un fauteuil, regarda timidement autour de lui, et prit paisiblement un journal. Il en lut deux lignes, se leva, se regarda dans la glace, se rajusta, puis s’approcha de la fenêtre pour voir si sa voiture était là. Il se rassit enfin et reprit le journal. Visiblement il était très ému. Il regarda la pendule. Comme il n’était que trois heures et quart, et qu’il lui restait encore pas mal de temps, il lui sembla qu’il n’était pas convenable de rester assis si longtemps sans rien prendre. Aussi commanda-t-il un chocolat dont il n’avait aucune envie. Il but le chocolat et comme l’heure s’avançait se leva pour payer. Tout à coup quelqu’un le frappa sur l’épaule. Il se retourna, et aperçut deux de ses collègues, ceux-là mêmes qu’il avait rencontrés le matin rue Liteinaia. C’étaient de