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mier mouvement ; il arrête la main de Christian Ivanovitch et reste immobile, comme s’il n’avait pas confiance en lui-même, comme s’il attendait une inspiration pour agir encore.

Ce fut alors une scène assez étrange. Christian Ivanovitch parut cloué à sa chaise. Stupéfait, il regarda, les yeux large ouverts, M. Goliadkine, qui le regardait de même.

Enfin Christian Ivanovitch se leva en se tenant un peu à l’habit de M. Goliadkine. Quelques secondes, ils furent silencieux, immobiles, ne se quittant pas des yeux. Puis ce fut un étrange changement dans l’altitude de M. Goliadkine. Ses lèvres tremblèrent, son menton remua, et, brusquement, il se mit à pleurer. Il sanglotait, hochait la tête, se frappait la poitrine de la main droite, saisissait de la main gauche le pan de l’habit de Christian Ivanovitch. Il voulut parler, donner une explication immédiate. Il ne put prononcer un mot… Enfin Christian Ivanovitch se remit de son étonnement.

— Calmez-vous… mais calmez-vous, dit-il enfin, tâchant d’asseoir M. Goliadkine sur la chaise.

— J’ai des ennemis, Christian Ivanovitch, j’ai des ennemis. J’ai des ennemis très méchants qui ont juré ma perte, répondit M. Goliadkine, craintivement et à voix basse.

— Allons, allons… quels ennemis ? Il ne faut pas parler d’ennemis… C’est tout à fait inutile.