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Christian Ivanovitch, je suis un homme très modeste, vous le savez vous-même, mais pour mon bonheur je ne regrette pas d’être un homme modeste. Bien au contraire… en vérité je suis même fier de n’tre pas un grand homme, mais un homme ordinaire. Je ne suis pas un intrigant… et j’en suis fier. Je n’agis pas en cachette, j’agis ouvertement, sans ruse. Je pourrais nuire et beaucoup ; je sais à qui et comment, Christian Ivanovitch ; je ne veux pas me salir, je me lave les mains.

M. Goliadkine eut un instant de silence très expressif, puis il parla avec une douce animation.

— Je vais tout droit, Christian Ivanovitch, ouvertement, loin des voies détournées… je les méprise et je les laisse aux autres. Je ne veux pas humilier ceux qui, peut-être, sont plus que vous et moi… c’est-à-dire… je veux dire… plus que moi et que d’autres, Christian Ivanovitch, je n’ai pas voulu dire et vous. Je n’aime, pas les demi-mots ; je déteste l’hypocrisie, je méprise la calomnie et la médisance, je ne prends le masque que pour aller au bal masqué, mais je ne le porte pas chaque jour devant les hommes. Une seule question, Christian Ivanovitch, vous vengeriez-vous de votre ennemi, de votre pire ennemi, de celui que vous croyez tel ?…

Ainsi conclut M. Goliadkine, en jetant un regard provocateur à Christian Ivanovitch.