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dernier regard sur les gens et sur les choses et, tremblant comme un petit chat qu’on aurait trempé dans l’eau froide — si vous voulez me permettre cette comparaison — s’installa dans la voiture. Christian Ivanovitch monta derrière lui. La portière se ferma. On entendit un claquement de fouet ; les chevaux s’élancèrent… Tout le monde se précipita derrière la voiture. Les cris perçants et sauvages de ses ennemis roulaient derrière M. Goliadkine, accompagnaient sa route. Pendant quelques instants des visages apparurent autour de la voiture qui l’emportait. Mais peu à peu la voiture prit de l’avance… ils disparurent.

Ce fut le déplorable jumeau de M. Goliadkine qui suivit le plus longtemps. Les mains dans les poches du pantalon vert de son uniforme, il courait joyeusement, sautillant de chaque côté de la voiture. Enfin il saisit la portière, se suspendit à la voiture, passa sa tête par l’ouverture et en signe d’adieu il lui envoya des baisers. Mais lui aussi se lassa. Il n’apparut plus que par intervalles, puis disparut tout à fait.

Une sourde douleur était au cœur de M. Goliadkine ; un sang brûlant bouillonnait dans sa tête. Il étouffait, il aurait voulu se déboutonner, mettre sa poitrine à nu, la couvrir de neige, l’inonder d’eau froide. Il finit par perdre le sentiment…