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kine, qui tressaillit d’une sensation bizarre.

— Il est temps, dit le conseiller en regardant avec attention André Philippovitch, qui lui-même regarda Olsoufi Ivanovitch. Celui-ci hocha gravement et majestueusement la tête.

— Levons-nous, dit le conseiller, et il fit signe a M. Goliadkine de se lever. Tous se levèrent aussi. Le conseiller prit alors M. Goliadkine aîné par la main, André Philippovitch prit par la main M. Goliadkine jeune. Les deux « semblables » furent amenés l’un vers l’autre au milieu de la foule des invités qui, réunis en cercle, les fixaient attentivement. M. Goliadkine promena autour de lui un regard hésitant. On lui désigna aussitôt M. Goliadkine cadet qui lui tendait la main.

« On veut nous réconcilier », pensa-t-il. Attendri, il lui tendit la main. Ensuite… ensuite il lui tendit la joue. M. Goliadkine cadet fit de même… Pourtant M. Goliadkine aîné avait cru apercevoir un sourire perfide sur les lèvres de son ami. N’avait-il pas jeté autour de lui un rapide coup d’œil, qui sentait la friponnerie ? Son visage n’était-il pas de mauvais augure ? N’avait-il pas grimacé avant son baiser de Judas ?… La tête de M. Goliadkine se remplit de cloches, ses yeux se voilèrent. Il crut voir une foule innombrable, une troupe véritable de Goliadkine absolument identiques, qui forçaient avec fracas la porte de l’appartement. Mais il