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hésitant, mais réconcilié complètement avec les hommes et la destinée, M. Goliadkine se fraya un chemin à travers la masse compacte des convives. Chacun se rangea sur son passage, le regarda avec une curiosité étrange et une sympathie énigmatique et incompréhensible. Il entra dans une autre pièce. On s’y occupait encore de lui. Il entendit obscurément que l’on se pressait en foule derrière lui. On suivait chacun de ses mouvements, on discutait tout bas, passionnément, on hochait la tête ; on chuchotait, on parlait, on commentait.

Il aperçut, en tournant la tête, M. Goliadkine cadet tout près de lui. Impulsivement, il le prit par la main, le conduisit à l’écart et le pria instamment de lui venir en aide, de ne pas l’abandonner en cette heure critique où sa vie recommençait. M. Goliadkine cadet acquiesça gravement de la tête et serra fortement la main de M. Goliadkine aîné dont le cœur, en sa poitrine, palpita de l’excès de ses sentiments. Il étouffait, sa respiration était pénible. Tous ces yeux tournés vers lui l’opprimaient, l’écrasaient… Il aperçut, en passant, le conseiller qui portait perruque. Le conseiller le fixait d’un regard sévère, scrutateur, qui ne s’accordait point à la sympathie de tous…

M. Goliadkine voulut aller à lui, lui sourire, s’expliquer d’un mot avec lui. Mais il ne put. Puis il oublia la réalité, perdit la mémoire et le