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peine une fois tous les huit jours et avec indifférence, encore. C’est comme cela, madame, et avec indifférence, encore. C’est ainsi, à bien raisonner, à bien considérer… Mais moi, que viens-je faire ici ? Pourquoi, madame, m’avez-vous mêlé à vos caprices ? « C’est un homme généreux, dites-vous, qui souffre pour moi et qui est cher à mon cœur » … « Et d’abord, ma chère dame, moi je ne saurais vous convenir. Vous le savez bien, je ne sais pas faire de compliments. Je ne sais pas dire des petits riens parfumés pour les dames, je déteste les céladons et puis, je l’avoue, mon visage ne se prête guère… Il n’y a en moi ni forfanterie ni fausse honte, c’est un aveu tout à fait sincère. Mais en revanche, et je le dis aussi, mon caractère est droit et ouvert, je suis un homme de sens, je n’intrigue pas. Je ne suis pas un intrigant, vous dis-je, et je m’en fais gloire. Voilà. Je vais sans masque parmi les braves gens et pour tout vous dire… »

Tout à coup M. Goliadkine tressaillit. La barbe rousse, complètement trempée de son cocher, parut à nouveau derrière les fagots.

— Je viens tout de suite, mon ami, tu sais mon ami, je viens tout de suite. Je viens tout de suite, mon ami, fit M. Goliadkine d’une voix tremblante et défaillante.

Le cocher se gratta la nuque, caressa sa barbe, fit un pas en avant, s’arrêta et regarda M. Goliadkine avec méfiance.