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non qu’est-ce que je dis… c’était pour demain, le rendez-vous, c’était demain qu’il fallait attendre avec la voiture. » M. Goliadkine sentit son corps se glacer, et chercha la lettre dans sa poche pour se rassurer. Mais, oh stupeur ! la lettre n’y était pas. « Qu’est-ce cela ? balbutia-t-il à demi mort. Où l’aurai-je laissée ? Je l’ai donc perdue ? Il ne manquait plus que cela. Il gémit. Si elle allait tomber dans de mauvaises mains ? (Elle y était peut-être déjà). Seigneur, que va-t-il arriver ? Il y aura… Oh ! malheureuse destinée ! » M. Goliadkine trembla comme une feuille en songeant que peut-être son indélicat jumeau ne lui avait jeté son manteau sur la tête que pour s’emparer de la lettre dont il avait connu l’existence par ses ennemis. « Ce n’est pas la première fois qu’il intercepterait… pensa-t-il. Et la preuve… mais à quoi bon la preuve ? » Ce fut une crise de stupeur et d’effroi. Puis le sang lui monta à la tête. Gémissant et grinçant des dents, il prit entre ses mains sa tête brûlante, s’affaisa sur son billot et se mit à penser. Mais ses pensées se liaient mal dans sa tête.

Des visages y passaient. Il se souvenait d’événements oubliés depuis longtemps. Ils revenaient tantôt vagues, tantôt précis. Des motifs d’ineptes chansons l’obsédaient. Son souci l’accablait. « Mon Dieu, mon Dieu, pensa-t-il, se ressaisissant un peu, étouffant des sanglots sourds dans sa poitrine, mon Dieu, donne à