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que les consommateurs ne regardaient que lui. Le désordre de son costume, son émotion mal contenue, sa marche désordonnée à travers la salle, sa gesticulation, les quelques mots énigmatiques qu’il jetait au hasard et sans s’en rendre compte ne prévenaient guère en sa faveur l’opinion des clients. Le garçon lui-même le dévisageait d’un air soupçonneux.

Lorsqu’il revint à lui, il s’aperçut que debout au milieu de la salle il regardait, de façon inconvenante, un vieillard de mine très respectable, qui, son dîner terminé et sa prière dite devant l’icône, s’était rassis à sa place et ne le quittait pas non plus des yeux. Tout confus, il remarqua que tous, sans exception, le dévisageaient d’un air peu rassurant…

Un militaire en retraite demanda le Bulletin de la police.

M. Goliadkine tressaillit et rougit. Par hasard il baissa les yeux. Son costume était si peu convenable que non seulement il était déplacé dans un endroit public, mais qu’il l’eût été chez lui. Ses chaussures, son pantalon, tout le côté gauche était couvert de boue ; le bas de son pantalon était arraché à droite, son frac était déchiré en plusieurs endroits. Le cœur serré, il se rapprocha de la table devant laquelle il venait de lire. Le garçon s’avança vers lui d’un air étrange et presque menaçant. Désespéré, M. Goliadkine contempla la table devant la