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enfants. Derrière lui on poussait des cris de terreur… Mais M. Goliadkine semblait avoir perdu toute conscience et ne prenait garde à rien…

S’il retrouva ses esprits près du pont Séméonovsky, c’est parce qu’il venait de renverser deux femmes, deux marchandes, et qu’il était tombé lui-même.

« Ça n’est rien, pensa M. Goliadkine, on peut encore s’arranger pour le mieux. » Il fouilla dans sa poche, en tira un rouble, pour dédommager les deux femmes des pains d’épices, des pommes, des noix répandus à terre. Mais une nouvelle inspiration éclaira M. Goliadkine. Il sentit dans sa poche la lettre que le greffier lui avait remise dans la matinée. Il connaissait tout près de là un cabaret. Il y entra, s’y attabla aussitôt et, sans écouter le garçon, accouru pour prendre ses ordres, il fit sauter le cachet et se mit à lire, à sa grande surprise :

« Homme aux nobles sentiments, qui souffres, à cause de moi, cher à jamais à mon cœur, je souffre, je meurs, sauve-moi. Le calomniateur, l’intrigant que l’on connaît pour la vanité de ses aspirations, m’a prise dans ses filets et je suis perdue. J’ai succombé, mais il m’est odieux, alors que toi… On nous a séparés, on interceptait les lettres que je t’adressais. Grâce à cela, un débauché a su profiter de sa meilleure qualité, sa ressemblance avec toi… En tout cas,