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Après un instant de stupeur bien naturelle, M. Goliadkine aîné, s’étant ressaisi, s’élança à toutes jambes à la poursuite de l’offenseur qui déjà sautait dans la voiture qui l’attendait. La grosse Allemande voyant fuir ses deux clients ce mit à crier et sonna à tour de bras. M. Goliadkine se retourna, lui jeta de l’argent pour les deux consommations et n’attendit pas la monnaie. Malgré son retard, il put rejoindre son ennemi. Il s’accrocha de toute son énergie à la voiture et courut dans la rue tâchant de monter dans la voiture que M. Goliadkine cadet défendait avec la même énergie. Le cocher encourageait son haridelle du fouet, des rênes, du pied et la bête tout à coup prit le galop, mordant son mors et ruant vicieusement. A la fin M. Goliadkine parvint à grimper dans la voiture. Face à face avec son ennemi, le dos appuyé contre le dos du cocher, les genoux contre les genoux du malappris, il avait saisi de la main droite le méchant col de fourrure de son manteau.

La voiture emportait avec rapidité les deux ennemis un instant silencieux. M. Goliadkine pouvait à peine respirer. Le chemin était mauvais, et il sautait à chaque cahot, au risque de se rompre le cou. L’ennemi ne se reconnaissait pas vaincu et cherchait à le précipiter dans la houe. Suprême désagrément, le temps était horrible. Les flocons de neige s’obstinaient à péné-