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alors, l’insolence de M. Goliadkine cadet dépassa Toutes bornes. Lorsqu’il eut saisi les deux doigts de M. Goliadkine aîné et qu’il les eut serrés, le misérable osa renouveler son inconvenante plaisanterie du matin. Les limites de la patience humaine étaient dépassées.

Déjà il avait mis dans sa poche le mouchoir dont il s’était essuyé les doigts, que M. Goliadkine aîné poursuivait dans la salle voisine son irréconciliable et lâche ennemi. Comme si de rien n’était, il s’était installé près du comptoir, mangeait des gâteaux comme un honnête homme et faisait la cour à la pâtissière allemande.

« Je ne peux pas devant une dame », pensa M. Goliadkine qui, tout ému, s’approcha du comptoir.

— Vraiment, la petite femme n’est pas mal. Qu’en dites-vous ? et M. Goliadkine cadet recommença ses plaisanteries déplacées, comptant sur l’inépuisable patience de M. Goliadkine.

La grosse Allemande regardait ses deux clients de ses yeux sans expression. Évidemment elle ne comprenait pas le russe et elle leur souriait d’un air avenant. M. Goliadkine s’empourpra. Son ennemi n’avait pas de pudeur.

Ne pouvant plus se dominer il se jeta sur lui. Il voulut le mettre en lambeaux, s’en débarrasser une fois pour toutes. Mais selon sa lâche habitude, M. Goliadkine cadet était loin déjà. Il s’était enfui sur le perron.