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et à regarder. Replié sur lui-même pour mieux entendre, il ne quittait pas des yeux Son Excellence. Mais parfois ses mains, ses pieds et sa tête se contractaient révélant les mouvements secrets de son aine.

« Quelle attitude ! pensa M. Goliadkine. Le bandit ! on dirait un favori. Je voudrais bien savoir ce qui le fait réussir dans la bonne société. Il n’a ni esprit, ni caractère, ni instruction, ni sentiment, et pourtant il réussit. Seigneur Dieu ! Comme un homme peut se pousser ! Comme il peut gagner les autres ! Et je jure bien qu’il ira loin, la canaille ! Il arrivera, car il a la chance, ce filou ! Qu’est-ce qu’il peut bien leur chuchoter ? Quel secret a-t-il avec tous ces gens-là, et de quoi parlent-ils tous ? Seigneur Dieu ! comment faire pour pouvoir… avec eux… un peu… d’une façon ou de l’autre… Si j’allais lui demander. »

« Je ne recommencerai pas. Certes je suis coupable. Je sais, Votre Excellence, que de notre temps il faut une situation à un jeune homme. Je ne veux point sortir de ma condition obscure. Voilà. Je ne protesterai d’aucune façon. Je supporterai tout avec patience et humilité. Voilà. Si j’agissais ainsi ? Mais non, je n’arriverai à l’émouvoir par aucune parole, la racaille. Rien ne peut entrer dans sa tête écervelée. Essayons quand même. Il se pourrait que ce soit le bon moment. Essayons donc. »