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à mon domestique… Il a mangé mon pain, Anton Antonovitch ; il a accepté mon hospitalité, dit M. Goliadkine d’un ton pénétré, le menton tremblant, les larmes au bord des yeux…

— Il a mangé votre pain… c’est vous qui le dites, ricana Anton Antonovitch d’une voix ironique dont fut angoissé M. Goliadkine.

— Permettez-moi, Anton Antonovitch, de vous demander humblement si Son Excellence est informée…

— Mais certainement… Du reste en voilà assez… je n’ai pas le temps… Vous saurez dès aujourd’hui tout ce que vous avez à savoir.

— Permettez… de grâce… Anton Antonovitch… une seconde encore…

— Vous raconterez cela plus tard…

— Non, Anton Antonovitch… je… voyez-vous… écoutez-moi… Je ne suis pas un libre-penseur… Je crains la libre-pensée… Je suis tout à fait disposé… j’accepte l’idée…

— C’est bien… c’est bien… je sais…

— Non, vous ne savez pas, Anton Antonovitch… c’est autre chose… mes paroles seront sages… Je voulais dire, Anton Antonovitch, que l’organisation divine avait prévu deux êtres absolument semblables et que les chefs respectueux de cette divine organisation ont casé les deux jumeaux. N’est-ce pas bien, Anton Antonovitch ? C’est bien, n’est-ce pas ?… Vous voyez que je suis loin d’être un libertin. Un chef bien