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pour M. Goliadkine aîné. Montrant les dents, tournoyant, sautillant avec un sourire qui disait bonsoir à tout le monde, il s’était introduit parmi les employés, serrant la main à l’un, tapant sur l’épaule de l’autre, serrant un troisième dans ses bras, expliquant au quatrième à quelle mission précise l’employait Son Excellence, ses démarches, ses actes, ses fonctions. Il baissa sur les lèvres un cinquième — son meilleur ami, sans doute.

Point par point, tout se passait comme dans le rêve de M. Goliadkine aîné. Lorsqu’il eut suffisamment sautillé, joué son rôle auprès de chacun, lorsqu’il se fut concilié la faveur de tous et qu’il eut embrassé tout le monde ; M. Goliadkine cadet, qui, par mégarde sans doute, n’avait pas encore vu son plus vieil ami, tendit la main à M. Goliadkine aîné. Par mégarde aussi — et pourtant il avait eu le temps de reconnaître l’ignoble M. Goliadkine cadet — notre héros se saisit de cette main tendue, et la serra avec force et attendrissement. Avait-il été trompé par le mouvement imprévu de son odieux ennemi, avait-il été pris à l’improviste ? Avait-il subi l’entraînement d’une situation sans défense, je ne sais. Toujours est-il que M. Goliadkine aîné, l’esprit lucide, de par sa propre volonté, devant témoins, a solennellement serré la main de celui qu’il appelait son pire ennemi. Mais, surprise et rage, terreur et honte. M. Go-