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aussi s’approcha-t-il, pour leur dire bonjour, de ceux avec qui il était en meilleures relations. Mais les collègues de M. Goliadkine lui répondirent d’une façon étrange. Il fut impressionné désagréablement par la froideur de tous, par la sécheresse, on peut dire par la sévérité même de cet accueil. Personne ne lui avait serré la main. Les uns lui dirent simplement bonjour et s’éloignèrent, les autres le saluèrent de la tête. L’un d’eux se détourna faisant semblant de ne pas l’avoir pas vu. D’autres encore, — et cela exaspéra M. Goliadkine — d’autres parmi les plus jeunes, les enfants, comme les avait justement appelés M. Goliadkine, ceux qui ne manquent pas l’occasion de jouer à pile ou face, de faire des sottises, l’entourèrent peu à peu, se groupèrent autour de lui, lui fermant la sortie. Tous le dévisageaient avec une curiosité insultante.

C’était mauvais signe. M. Goliadkine le sentit et sagement se préparait à n’y point faire attention, mais un fait inattendu tout à coup l’anéantit, l’acheva.

Au milieu des jeunes employés qui l’entouraient, à l’instant où s’exaspérait son angoisse, apparut tout à coup M. Goliadkine cadet. Comme toujours joyeux, comme toujours souriant, comme toujours empressé, il s’avançait, polisson, sautillant, cajoleur, souriant, la parole facile, la jambe souple, comme toujours, comme la veille encore en cette conjoncture si pénible