Page:Dostoïevski - Le Double, 1919.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un fiacre pour aller directement chez Son Excellence, ou du moins chez André Philippovitch. Mais, oh terreur ! les cochers refusent de le conduire et disent : « Impossible, monsieur, de prendre des clients tout à fait semblables. Vous êtes un homme de bien, vous voulez vivre honnêtement, bien régler votre vie, alors… il ne faut pas être double. »

Quelle honte ! Le très honnête M. Goliadkine regarde autour de lui, et il voit de ses propres yeux que les cochers de fiacre et Pétrouchka, d’accord avec eux, ont parfaitement raison. Car l’indigne M. Goliadkine est à côté de lui, tout à côté et — naturellement — se prépare à une de ces incongruités que réprouvent la noblesse de caractère et la bonne éducation. Cette noblesse de caractère dont à l’occasion l’infâme Goliadkine II sait si bien s’enorgueillir.

N’y tenant plus, confus, désespéré, le vrai M. Goliadkine s’élance droit devant lui, au hasard, au petit bonheur. Mais à chacun de ses pas, chaque fois que son pied touche à l’asphalte du trottoir, surgit comme de dessous terre un nouveau M. Goliadkine, à chaque fois plus répugnant et plus corrompu. Et tous ces Goliadkine se mettent à courir l’un derrière l’autre, comme un troupeau d’oies. Ils suivent M. Goliadkine aîné qui ne peut plus respirer. Ils sont si nombreux maintenant qu’ils remplissent toute la capitale. Un sergent de ville,