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Pétrouchka marmotta entre ses dents, s’allongea sur son lit, qu’il fit craquer, bâilla, s’étira et s’endormit d’un véritable sommeil d’innocence.

M. Goliadkine était plus mort que vif. L’attitude de Pétrouchka, ses allusions lointaines, mais bizarres, dont il pouvait d’autant moins se fâcher qu’elles venaient d’un homme ivre, la mauvaise tournure que prenait l’affaire, tout cela avait secoué à fond M. Goliadkine.

« Qui diable m’a poussé à aller l’embêter au milieu de la nuit ? dit-il, avec un tremblement maladif… Pourquoi discuter avec un ivrogne ? Que peut-on attendre d’un homme soûl ? Chacun de ses mots est un mensonge… Mais à quoi, diable, ce brigand faisait-il allusion ? Seigneur Dieu !… Pourquoi diable ai-je écrit cette lettre ? Bandit ! misérable, il fallait bien pourtant que je dise quelque chose ! Eh quoi, l’ambition, l’honneur ! il faut sauver son honneur. Misérable que je suis ! »

Ainsi parla M. Goliadkine, assis sur son divan, immobile de peur. Tout à coup, ses yeux se fixèrent, son attention se tendit. Craignant une illusion, une hallucination, il tendit la main avec un indicible mélange d’espoir et de crainte. Non ce n’était ni une illusion ni une duperie, mais une lettre, une vraie lettre à lui adressée. M. Goliadkine prit la lettre sur la table, le cœur lui battait très fort. « C’est sans