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— Quelle lettre ? Il n’y a pas de lettre… je n’ai pas eu de lettre…

— Mais où l’as-tu mise, crapule ?

— Je l’ai donnée, je l’ai donnée la lettre : « Salue ton maître, m’a-t-il dit, c’est un bon maître, fais-lui mes compliments… »

— Mais qui a dit ça ? Goliadkine ?

Pétrouchka se tut un instant, sourit, la bouche large ouverte, regardant tout droit dans les yeux de son maître.

— Réponds, brigand, fit M. Goliadkine, étouffant de rage ? Que m’as-tu fait ? Que m’as-tu fait ? Tu m’as assassiné, brigand, tu m’as coupé la tête… Judas… Maudit !

— Comme vous voudrez, j’en ai assez, dit résolument Pétrouchka, se retirant derrière le paravent…

— Viens ici, viens ici, brigand.

— Je ne viendrai pas, je ne viendrai pas. Eh quoi… j’irai chez de braves gens… Les braves gens vivent honnêtement, ils vivent sans fausseté, ils ne vivent pas en double…

Les pieds et les mains de M. Goliadkine se glacèrent, sa respiration s’arrêta.

— Oui, continua Petrouchka, ils ne vivent pas en double… ils n’offensent ni Dieu, ni les honnêtes gens.

— Vaurien, tu es ivre… Va dormir, brigand. Nous causerons demain, fit M. Goliadkine d’une voix à peine perceptible.