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M. Goliadkine était atterré. Quelle était cette histoire de sorcier ? Cependant le vendeur attendait. On entourait M. Goliadkine.

Déjà M. Goliadkine sortait un rouble de sa poche. Il était rouge comme une écrevisse :

« Eh, bien, mettons onze, qu’y a-t-il d’extraordinaire à ce qu’on ait mangé onze gâteaux ? Un homme a faim, il mange onze gâteaux, grand bien lui fasse ! Ce n’est ni étonnant, ni ridicule ! »

Tout d’un coup M. Goliadkine leva les yeux et alors il comprit l’énigme et la sorcellerie ; toutes les difficultés étaient résolues… Dans l’embrasure de la porte qui donnait sur la salle voisine, presque derrière le dos du vendeur, en face de M. Goliadkine, sous la porte même que notre héros prenait pour une glace, était un homme. Cet homme c’était M. Goliadkine lui-même, non pas l’ancien M. Goliadkine, non pas le héros de cette nouvelle, mais l’autre M. Goliadkine, le nouveau M. Goliadkine. L’autre M. Goliadkine paraissait d’excellente humeur ; il sourit à M. Goliadkine premier, le salua de la tête, lui cligna des yeux. Il se balançait sur ses jambes et regardait avec soin, prêt à disparaître dans la chambre voisine et à descendre par l’escalier de service. Toute poursuite eût été vaine. Il tenait à la main le dernier morceau du dixième gâteau, qu’il porta à sa bouche, sous les yeux mêmes de M. Goliadkine, en claquant les lèvres de plaisir.