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sans perdre de temps, il monta vite l’escalier du restaurant… Les prix étaient assez élevés. Ce détail n’arrêta pas M. Goliadkine. Le temps était passé de s’embarrasser de semblables bêtises… Dans la salle éclairée, près du comptoir où s’entassaient les hors-d’œuvre, se pressaient un assez grand nombre de clients. À peine le vendeur avait-il le temps de sourire, prendre l’argent et rendre la monnaie. M. Goliadkine attendit son tour et tendit la main modestement vers un petit gâteau.

Il s’éloigna dans un coin, tourna le dos aux clients et le mangea d’appétit. Puis il revint au comptoir, y posa la petite assiette et comme il savait les prix, il tirade sa bourse dix kopeks, mit l’argent sur le comptoir, cherchant à saisir le regard du vendeur. Cela signifiait : « Voici l’argent… un gâteau… »

— Vous devez un rouble dix kopeks, fit le vendeur à travers ses dents. M. Goliadkine s’étonna.

— C’est à moi que vous parlez… Non… n’est-ce pas ?… je n’ai pris qu’un gâteau…

— Vous en avez pris onze, répondit le vendeur avec assurance.

— Il me semble… Vous vous trompez… je vous assure… je n’ai pris qu’un gâteau…

— J’ai compté. Vous en avez pris onze. On paye ce que l’on prend… Ici on ne donne rien gratis.