Page:Dostoïevski - Le Double, 1919.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jumeaux… Que le diable emporte tout ! À quoi sert cette sacrée coïncidence ?… Mon Dieu, quel brouhaha les diables ont fait !… Et puis il a un très mauvais caractère, il est vil, fuyant, flagorneur, ce Goliadkine. S’il allait se mal conduire et déshonorer mon nom, la crapule ! Il faut le surveiller… Ah ! quel châtiment… Mais après tout… à quoi bon… ? Il est lâche, qu’il reste lâche, l’autre est honnête. C’est une canaille et moi je suis honnête. On dira : Voyez, ce Goliadkine est une crapule, n’y prenez pas garde, mais ne le confondez pas avec l’autre : l’autre, voilà un honnête homme et vertueux, pas méchant, régulier dans le service et digne des grades les plus hauts… voilà… c’est bien… Et si on allait nous confondre ?… on peut s’attendre à tout de sa part… ah, mon Dieu !… »

M. Goliadkine courut ainsi au hasard, sans savoir où il allait. Sur la Perspective Newsky, il revint à lui, mais seulement après avoir heurté un passant, si bien heurté qu’il en vit trente-six chandelles. M. Goliadkine marmotta une excuse sans lever la tête. Le passant grommela quelques mots peu flatteurs. Il était loin déjà quand M. Goliadkine leva le nez pour voir où il était. Justement il était près du restaurant où il s’était reposé en attendant le dîner d’Olsoufi Ivanovitch. Il sentit des pincements à l’estomac et se souvint qu’il n’avait pas dîné. Il n’avait aucune invitation en perspective. Aussi,