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pauvreté n’est pas vice… Moi, je suis tout à fait en dehors. Qu’est-ce que toutes ces bêtises ? Eh bien ? Si la destinée, si la nature veulent que deux hommes se ressemblent comme deux gouttes d’eau, que l’un soit l’exacte copie de l’autre, est-ce une raison pour qu’on lui ferme le ministère ? Si c’est la destinée, si c’est la fortune aveugle, personne n’est coupable. Faut-il donc le rejeter comme une guenille, lui interdire tout emploi ? Voyons… et la justice ? C’est un homme pauvre, abandonné, timide, qui fait pitié. La charité ordonne de le protéger. Il n’y a pas à dire… Si les chefs raisonnaient comme moi, ce seraient de bons chefs… Quel cerveau j’ai… !

« Mais non, ils ont bien fait et il faut les remercier d’avoir accueilli ce pauvre homme… Eh bien, supposons que nous soyons jumeaux, que nous soyons nés jumeaux… Eh bien alors… Les fonctionnaires, on peut les habituer à cette idée et les gens du dehors qui viennent au ministère n’y peuvent rien trouver d’inconvenant. C’est même attendrissant : Dieu a créé deux êtres tout à fait semblables et les chefs bienveillants ont écouté cet avertissement de Dieu et ont donné asile aux deux jumeaux… Sans doute, continua M. Goliadkine en respirant et en baissant un peu la voix, sans doute il vaudrait mieux que cette touchante histoire ne fût pas arrivée, qu’il n’y eût pas de