Page:Dostoïevski - Le Double, 1919.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dire. Cette histoire est si misérable… Ça ne vaut pas la peine… Il vaut mieux s’en moquer. »

Brusquement, M. Goliadkine tire la sonnette. Il entend à l’intérieur un bruit de pas. M. Goliadkine se maudit lui-même, maudit sa hâte et son audace. Ses dernières mésaventures et conversations avec André Philippovitch, qu’il avait failli oublier, lui reviennent en mémoire. Mais il est trop tard pour s’enfuir. La porte s’ouvre. A son grand bonheur, M. Goliadkine apprend qu’André Philippovitch n’est pas rentré du bureau et qu’il ne dîne pas à la maison. « Je sais où il dîne, il dîne près du pont Ismaïlovsky », pense M. Goliadkine et il se réjouit profondément. Le domestique demande : « Qui devrai-je annoncer ? » Il répond : « Je reviendrai, mon ami. » M. Goliadkine redescend l’escalier avec un grand courage. Dans la rue il renvoie son cocher. Comme le cocher demande son pourboire… « J’ai attendu longtemps… mon cheval a bien trotté… » M. Goliadkine lui donne avec plaisir cinq kopeks de pourboire et il s’en va à pied.

Il pense : « Pourtant on ne peut pas négliger cette affaire. Mais à bien raisonner, y a-t-il de quoi faire des histoires ? Pourquoi me tourmenter, souffrir ? C’est une affaire faite… Il n’y a pas à y revenir. Raisonnons : Voici un homme solidement recommandé, un fonctionnaire capable. Il est pauvre, il a beaucoup souffert. Mais