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Les mots s’arrêtèrent dans sa bouche. Il se dit des injures, se reprocha sa lâcheté et sa bassesse. Mais ses affaires n’en étaient pas avancées. Il était nécessaire qu’il prît une décision.

Il eût donné beaucoup à qui lui eût indiqué cette décision. Comment la trouver ? Il n’avait pas le temps de chercher. Pour ne pas perdre de temps, il sauta dans une voiture et rentra chez lui.

« Eh bien, comment te sens-tu maintenant ? se dit-il. Comment vous trouvez-vous, Iakov Pétrovitch ? Que vas-tu faire ? Que vas-tu faire, canaille ? C’est l’heure décisive et tu pleures et tu sanglotes ! »

À agacer, au milieu des cahots de la voiture, à chatouiller ainsi ses propres blessures, M. Goliadkine éprouvait un profond plaisir, presque de la volupté. Il pensa : « Si quelque magicien venait me dire — (ou que cette proposition me fût faite officiellement) — : Goliadkine, donne un doigt de ta main droite et nous serons quittes ; l’autre Goliadkine disparaîtra et nous serons heureux… tu auras seulement un doigt de moins… Ah je donnerais le doigt, je le donnerais bravement, sans dire un mot… Que le diable emporte tout ! s’écria enfin M. Goliakine désespéré. Mais pourquoi tout cela est-il arrivé ? Était-ce donc nécessaire ! Pourquoi cela et pas autre chose ? Tout était si bien avant. Tout le monde était content, heureux. Mais non, il fal-