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fraye tant bien que mal un chemin à travers la foule des employés. Il ne veut pas être en retard. Il demande son manteau. Mais on donne d’abord le manteau de son ami, car, même ici, il a eu le temps de flagorner, de flatter, d’être plat. Tout en mettant son manteau, M. Goliadkine cadet regarde ironiquement M. Goliadkine aîné, insolemment, audacieusement, puis, avec son effronterie ordinaire, il regarde autour de lui, tourne autour des fonctionnaires, dit un mot à l’un, murmure une phrase à l’autre, sourit respectueusement à un troisième, serre la main d’un quatrième et descend gaîment l’escalier. M. Goliadkine aîné le suit, et a la satisfaction de le rejoindre sur la dernière marche. Il le saisit par le col de son manteau. M. Goliadkine cadet semble un peu stupéfait et ses regards sont éperdus.

— Que me voulez-vous ? murmura-t-il faiblement à M. Goliadkine.

— S’il y a quelque noblesse en vous, monsieur, j’espère que vous vous souviendrez de nos relations amicales d’hier.

— Ah oui… eh bien, avez-vous bien dormi ?

La rage paralyse un instant la langue de M. Goliadkine.

— J’ai bien dormi…… Mais permettez-moi de vous dire, monsieur, que votre jeu est joliment embrouillé.

— Qui dit cela… ? Ce sont mes ennemis qui