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pas aux hommes les plus forts. Je le permettrai d’autant moins à un homme dépravé. Je ne suis pas une guenille, monsieur, je ne suis pas une guenille. » M. Goliadkine a pris une résolution. « Vous avez tort, oui, monsieur. » Il a résolu de protester, de protester de toutes ses forces, jusqu’à la dernière extrémité. Un homme comme lui… Il ne pouvait permettre qu’on l’offensât, qu’on le foulât aux pieds comme une guenille. Il ne pouvait le permettre à un homme complètement dépravé. En vérité, si quelqu’un désirait absolument transformer M. Goliadkine en guenille, il y pourrait peut-être réussir sans difficulté et sans danger (M. Goliadkine parfois le sentait lui-même). Il deviendrait une guenille, il ne serait plus M. Goliadkine, mais une sale guenille, pas une guenille banale, mais une guenille ambitieuse, avec des sentiments, des sentiments profondément cachés dans ses plis, mais des sentiments tout de même.

Les heures s’écoulaient lentement. Enfin quatre heures sonnèrent, bientôt tous les employés se levèrent et à l’exemple de leur chef quittèrent le bureau. M. Goliadkine se mêle à eux. Les yeux de M. Goliadkine ne paressent pas. Il ne laissera pas échapper celui qu’il sait. Enfin il aperçoit son ami accourant vers le garçon de bureau qui garde le vestiaire. Avec sa platitude habituelle, le voici qui tourne autour de lui.

Le moment est décisif ; M. Goliadkine se