Page:Dostoïevski - Le Double, 1919.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dra rien. Quand les heures du bureau seront écoulées, il prendra des mesures. Il sait comment alors il agira, comment il organisera le plan de son action, afin d’écraser le serpent qui ronge la poussière. On ne le supprimera pas comme une chiffe à essuyer les bottes sales. M. Goliadkine ne le supportera pas. Il ne peut y consentir, maintenant surtout. Sans le dernier affront, il se fût résolu peut-être à imposer silence à son cœur, il se serait tu, soumis, il n’aurait pas protesté avec trop d’obstination.

Il discutera, d’abord un peu fâché, il tâchera de prouver qu’il est dans son droit, puis il cédera un peu, puis peut-être encore un peu, enfin il consentira à tout, surtout quand les adversaires auront solennellement reconnu qu’il est dans son droit. Peut-être ira-t-il jusqu’à se réconcilier, sera-t-il un peu attendri. Et qui peut savoir… une nouvelle amitié naîtra peut-être, robuste et chaleureuse, plus vaste encore que celle d’hier, et cette amitié saura effacer le désagrément de cette ressemblance. Et les deux fonctionnaires seront très heureux, vivront jusqu’à cent ans, etc., etc. Enfin pour tout dire, M. Goliadkine commençait à se repentir de vouloir se défendre et d’affirmer son droit. « S’il veut céder, pense-t-il, s’il dit qu’il a plaisanté, je lui pardonnerai, d’autant mieux qu’il se sera excusé en public. Mais je ne lui permettrai pas de me fouler aux pieds comme une guenille. Je ne le permettrais