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les devants, le tapote deux fois sur la joue, par deux fois le chatouille, et se joue de son adversaire immobile et fou de rage, pendant quelques secondes encore, à la grande joie des jeunes gens qui les entourent. M. Goliadkine cadet, avec une révoltante effronterie, donne une chiquenaude sur le ventre de M. Goliadkine aîné et dans le sourire le plus fielleux et le plus plein d’allusions :

— Non, mon cher Iakov Pétrovitch, dit-il, tu te trompes, nous ruserons avec toi, nous ruserons…

Avant que M. Goliadkine aîné ait eu le temps de se reconnaître, il sourit aux spectateurs, prend l’air le plus affairé, baisse les yeux vers le parquet, s’efface, lâche très rapidement un « je suis très affairé », déplace ses courtes jambes et disparaît dans la pièce voisine.

M. Goliadkine n’en croyait pas ses yeux et ne pouvait encore comprendre.

Il se remet entra, il comprend tout à coup qu’il est perdu, qu’il est déshonoré, qu’il a souillé sa réputation, qu’il s’est laissé bafouer et insulter en public, qu’il fut traîtreusement offensé par l’homme qu’il tenait la veille encore pour son ami le plus sûr, enfin qu’il a terriblement gaffé. M. Goliadkine s’élance à la poursuite de son ennemi. Déjà il ne veut plus penser aux témoins de l’offense, ils sont tous d’accord, se disait-il, l’un vaut l’autre. Ils s’ex-