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— Le maître n’est pas à la maison.

— Imbécile, mais c’est moi ton maître, Pétrouchka, dit M. Goliadkine d’une voix haletante. Les yeux largement ouverts, il regarda son domestique. Pétrouchka ne répondit pas, mais fixa M. Goliadkine de telle façon, que celui-ci rougit jusqu’aux oreilles. Il le regardait. Son regard contenait un reproche blessant et valait une offense. Les bras en tombèrent à M. Goliadkine. Enfin Pétrouchka déclara que l’autre était parti depuis une heure et demie et n’avait pas voulu attendre. Sans doute la réponse était plausible et vraisemblable. Pétrouchka n’avait pas de raison pour mentir. Son regard blessant, le mot, « l’autre » qu’il employait étaient la conséquence naturelle de cette histoire embrouillée ; et M. Goliadkine sentait vaguement que quelque chose n’allait pas, et que la destinée lui préparait encore une surprise désagréable.

« Bon… nous verrons, pensa-t-il, nous verrons tout cela. Ah Seigneur mon Dieu ! » gémissait-il Il dit enfin d’une tout autre voix : « Pourquoi diable ai-je fait cela ?… vraiment, je mets moi-même la tête dans le nœud coulant… j’enroule le nœud, ah tête folle, tête folle, tu ne peux pas t’empêcher de gaffer, comme un gamin, comme le dernier des scribes. Chiffe… policier… mes aïeux… il a même écrit des vers, la canaille, et s’est répandu en protestations affectueuses…