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— …Mon homonyme, et du même pays que moi, j’ai résolu de m’adresser à vous et de vous exposer l’embarras de ma situation…

— Bon, bon… je ne sais vraiment que vous dire, répondit d’une voix troublée M. Goliadkine, eh bien, nous causerons après dîner.

L’hôte s’inclina. On apporta le dîner. Pétrouchka prépara la table, et les deux hommes commencèrent à manger. Le repas fut court, tous deux se hâtaient. Le maître de maison n’était pas à son aise. Il était gêné aussi par la mauvaise qualité du dîner. Il aurait voulu régaler son hôte, et aussi lui montrer qu’il ne vit pas comme un mendiant. L’hôte lui aussi est gêné et confus. Quand il a pris du pain et qu’il en a mangé un morceau, il n’ose en reprendre un autre. Il craint de prendre la meilleure part. À chaque instant il affirme qu’il n’a pas du tout faim, que le dîner est très bon, qu’il est tout à fait content, et que sa reconnaissance durera jusqu’au tombeau.

Quand le repas fut terminé, M. Goliadkine alluma sa pipe et en offrit une à son hôte. Tous deux s’assirent en face l’un de l’autre, et l’hôte se mit à raconter ses aventures.

Le récit de M. Goliadkine cadet dura trois ou quatre heures. Son histoire était faite des circonstances les plus vides et les plus mesquines. Il s’agissait d’un service, quelque part, en province, de procureurs et de présidents de tri-