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Me prenant par la main, Messieurs, il me conduisit au sein de sa famille. Je sentais le froid me saisir ; je tremblais, en songeant à la figure que j’allais faire devant, car il faut vous dire, Messieurs, qu’il s’agissait d’une affaire assez délicate.

— N’est-ce point là que se trouvait Mme Polzounkov ? interrogea soudain un ironiste.

— Ou plutôt Marie Théodosievna. Cependant, il ne lui a pas été donné de porter le nom que vous avez bien voulu prononcer, cet honneur ne lui a pas été dévolu. Car, voyez-vous, Théodose Nikolaievitch avait raison de dire que j’étais considéré dans sa maison à l’égal d’un fils. Il en avait été ainsi six mois auparavant, au moment où Michel Maximovitch Dvigaïlov était encore en vie. Mais la Volonté Suprême avait abrégé son séjour en ce monde sans qu’il eût eu le temps de faire un testament…

— Hou !…

— Parfaitement ! et moi, je suis resté avec un zéro en poche. Car le monsieur défunt était, je le savais (bien qu’on ne m’eût jamais laissé entrer dans sa maison), le défunt, vous dis-je, était un homme très riche et me considérait, non sans quelque raison, comme son fils.

— Ah ! Ah !

— Oui, il en avait été ainsi, et cet événement malheureux pour moi fut cause que, dans la maison de Théodose Nikolaievitch, les nez s’allongèrent indéfiniment, et qu’on me tint rigueur à la suite de cette déconvenue.

Je remarquais tout cela, je le constatais, m’efforçant de paraître indifférent, quand soudain, pour mon malheur (ou peut-être pour mon bien, qui sait ?), un officier de la remonte arriva dans notre ville. Un officier de la remonte a pour métier de courir sans cesse, un métier de cavalier, quoi, qui ne lui permet pas de séjourner ; et cependant, il s’incrusta si bien chez Théodose Nikolaievitch que j’en fus fort marri.

Selon mon habitude, ce fut par des voies indirectes que j’abordai la question devant mon futur beau-père : « Et ci, et ça ? dis-je, et pourquoi voulez-vous, Théodose