— Vous n’avez donc pas la crainte du Seigneur tout-puissant, Osip Mihaïlovitch ? me dit mon chef…
Que fallait-il faire en cette occurrence ? J’écartais les bras, par convenance, et, la tête sur l’épaule, j’articulai péniblement :
— Pourquoi voulez-vous que je ne craigne pas le jugement de Dieu, Théodose Nikolaievitch ?
Je répète que c’était par convenance, uniquement, et, en moi-même, je sentais l’envie de me cacher sous terre.
— Après avoir été si longtemps l’ami de notre famille, un fils presque ! et qui sait encore ce que le destin nous réservait, Osip Mihaïlovitch ! Et voilà que vous me menacez de dénonciation !… À qui se fier après cela ?…
Et voilà qu’il recommence à me faire de la morale :
— Non, dites-moi, après cela, ce que je dois penser des hommes, Osip Mihaïlovitch ?
Et moi aussi je me disais : « Que faut-il en penser ? » Je sentais une étreinte à la gorge, ma voix tremblait et, connaissant ma faiblesse de caractère, je saisis vivement mon chapeau.
— Voyons, où allez-vous, Osip Mihaïlovitch ?… Est-il possible que vous me poursuiviez ainsi de votre haine ? que vous ai-je donc fait ?…
— Théodose Nikolaievitch, Théodose Nikolaievitch !
J’étais devenu mou comme du sucre fondu et le petit paquet de billets de banque était lourd à ma poche, lourd à ma conscience, et semblait crier : « Brigand que tu es ! Ingrat ! Maudit ! » On eût dit que ce mince rouleau pesait cinq pouds… (Ah ! s’il avait en réalité pesé cinq pouds !)
— Je vois, dit Théodose Nikolaievitch, je constate votre repentir… Vous savez, demain c’est…
— La fête de Marie d’Égypte…
— Allons, ne pleure plus ! Allons, tu as péché et tu te repens. Allons ! Il se peut que je te remette dans le droit chemin… Peut-être même que mes pauvres pénates arriveront à réchauffer votre cœur, je ne dirai pas endurci, votre cœur égaré !…