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— Ô mon bienfaiteur ! criai-je, je vous ai méconnu, je vous ai mésestimé. Des malveillants m’ont inspiré d’écrire cette maudite dénonciation. Pardonnez-moi, et reprenez votre argent !

Il me regardait, les larmes aux yeux.

— C’est cela que j’attendais de toi, mon fils. C’est comme cela que je veux te connaître. Je t’avais pardonné naguère en voyant les larmes de ma fille, maintenant c’est mon cœur tout entier qui t’absout. Tu as cicatrisé les blessures de mon âme et je te bénis pour l’éternité !

Il m’avait béni, Messieurs. Et moi, je m’empressai de courir à la maison pour lui rapporter la somme.

— Prenez, mon père, il n’y manque que cinquante roubles que j’ai employés pour mes besoins.

— Cela ne fait rien, me dit-il. Écris donc une demande antidatée, sollicitant une avancé de cinquante roubles sur tes appointements. Ainsi, je ferai le nécessaire devant les supérieurs, je leur dirai que je t’avais avancé cet argent.

— Qu’en pensez-vous, Messieurs ?… Cette demande, je l’ai bien écrite.

— Alors, comment tout cela a-t-il fini ? demanda quelqu’un.

— Cela s’était terminé par la remise de ce malheureux papier. Le lendemain, je reçois un avis avec un cachet officiel, je regarde : c’était ma démission ! On m’y disait de préparer mes comptes, de les rendre, et de m’en aller où je voudrais.

— Comment ?

— Et moi aussi, je criai comme vous : Comment ? Les oreilles me tintaient, mon cœur tressaillait et aussitôt je courus chez Théodose Nikolaievitch. La conversation s’engagea immédiatement.

— Qu’est-ce que tout cela ? demandai-je.

— Que voulez-vous dire ?

— Mais ma démission.

— Quelle démission ?

— La voilà !