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ensuite s’arrêta et regarda Ordynov attentivement et avec importance.

– Tu es bon, Monsieur, mais si tu ne veux pas vivre avec un brave homme, à ta guise. Voilà ce que je te dirai…

Et le Tatar regarda Ordynov d’une façon encore plus expressive, puis se mit à balayer, comme s’il était fâché. Enfin, prenant l’air d’avoir terminé quelque affaire importante, il s’approcha mystérieusement d’Ordynov, et, avec une mimique expressive, prononça :

– Lui, voilà ce qu’il est…

– Quoi ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

– Il n’a pas d’esprit.

– Quoi ?

– Oui ; l’esprit est parti, répéta-t-il encore d’un ton plus mystérieux. Il est malade. Il possédait un grand bateau, puis un second, puis un troisième ; il parcourait la Volga. Moi-même j’en suis, de la Volga. Il avait aussi une usine ; mais tout a brûlé. Et il n’a plus sa tête…

– Il est fou ?

– Non, non, fit lentement le Tatar, pas fou. C’est un homme spirituel. Il sait tout, il a lu beaucoup de livres et prédit aux autres toute la vérité… Ainsi l’un vient et donne deux roubles ; un autre, trois roubles, quarante roubles. Il regarde le livre et voit toute la vérité.