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de couteau dans le cœur. Il poussa un faible cri et s’évanouit.

Une vie bizarre, étrange, alors commença pour lui.

Par moments, en son esprit surgissait la conscience vague qu’il était condamné à vivre dans un long rêve infini, plein de troubles étranges, de luttes et de souffrances stériles. Effrayé, il tâchait de se révolter contre la fatalité qui l’oppressait. Mais, au moment de la lutte la plus aiguë, la plus désespérée, une force inconnue le frappait de nouveau. Alors, il sentait nettement comment, de nouveau, il perdait la mémoire, comment, de nouveau, l’obscurité terrible, sans issue, se déroulait devant lui, et il s’y jetait avec un cri d’angoisse et de désespoir. Parfois c’étaient des moments d’un bonheur trop intense, écrasant, quand la vitalité augmente démesurément en tout l’être humain, quand le passé devient plus clair, retentit du triomphe de la joie, quand on rêve d’un avenir inconnu, quand un espoir merveilleux descend sur l’âme comme une rosée vivifiante, quand on a le désir de crier d’enthousiasme, quand on sent que la chair est impuissante devant la multitude des impressions, que le fil de l’existence se rompt et qu’en même temps on acclame avec frénésie sa vie ressuscitée.