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l’aimait et que lui-même n’avait jamais eu l’occasion d’aimer quelqu’un. Quelques passants auxquels, par hasard, il avait adressé la parole en commençant sa promenade, l’avaient regardé d’une façon étrange, blessante. Il voyait qu’on le prenait pour un fou, ou du moins pour un original des plus singuliers, ce qui d’ailleurs était tout à fait juste. Alors il se souvint que tout le monde était gêné en sa présence, toujours ; dès son enfance, tous l’évitaient à cause de son caractère renfermé, obstiné, et la compassion qui, parfois, se manifestait en lui était pénible aux autres ou incomprise d’eux. Et de tout cela il avait souffert, étant enfant ; alors qu’il ne ressemblait à aucun enfant de son âge. Maintenant cela lui revenait et il constatait que, de tout temps, tous l’avaient abandonné et fui.

Sans se rendre compte comment il y était venu, Ordynov se trouva dans un quartier très éloigné du centre de Pétersbourg. Après un dîner très sommaire dans un petit débit, il recommença à errer par les rues, traversa des places et arriva ainsi à une sorte de chemin bordé de palissades jaunes et grises. Au lieu de riches constructions c’étaient maintenant de misérables masures et des bâtiments d’usines immenses, monstrueux, rouges, noircis, avec de hautes cheminées. Tout alentour était désert et vide ;