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curieux. Mais il était à tel point étranger à ce monde qui bouillonnait et s’agitait autour de lui, qu’il n’avait pas même l’idée de s’étonner de ses sensations bizarres. Il paraissait ne pas s’apercevoir de sa sauvagerie. Au contraire, un sentiment joyeux, une sorte d’ivresse, comme celle de l’affamé à qui, après un long jeûne, on donnerait à boire et à manger, naissait en lui. Il peut sembler étrange qu’un événement d’aussi mince importance qu’un changement de logis ait suffi à étourdir et à émouvoir un habitant de Pétersbourg, fût-ce Ordynov ; mais il faut dire que c’était peut-être la première fois qu’il sortait pour affaire. Il lui était de plus en plus agréable d’errer dans les rues, et il regardait tout en flâneur.

Fidèle, même maintenant, à son occupation habituelle, il lisait, dans le tableau qui se découvrait merveilleux devant lui, comme entre les lignes d’un livre. Tout le frappait. Il ne perdait pas une seule impression et, de son regard pensif, il scrutait les visages des passants, observait attentivement l’aspect de tout ce qui l’entourait, écoutait avec ravissement le langage populaire, comme s’il contrôlait surtout les conclusions nées dans le calme de ses nuits solitaires. Souvent, un détail le frappait, provoquant une idée, et, pour la première fois, il ressentit du dépit de s’être enseveli vivant dans