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verse, ma belle… Et toi, pourquoi as-tu bu si peu ?… Tu penses que je n’ai pas remarqué…

Catherine lui répondit quelque chose qu’Ordynov n’entendit point. Le vieillard ne la laissa pas achever. Il la saisit par la main, comme s’il n’avait plus la force de retenir tout ce qui oppressait sa poitrine. Son visage était pâle, ses yeux tantôt s’obscurcissaient, tantôt brillaient avec éclat, ses lèvres pâles tremblaient, et d’une voix dans laquelle s’entendait parfois une joie étrange, il lui disait :

– Donne ta main, ma belle, donne. Je te dirai toute la vérité. Je suis sorcier, tu ne t’es pas trompée, Catherine ! Ton cœur d’or t’a dit la vérité… Mais tu n’as pas compris une chose : que ce n’est pas moi, sorcier, qui t’apprendrai la raison ! Ta tête est comme un serpent rusé bien que ton cœur soit plein de larmes. Tu trouveras toi-même ta voie, et tu glisseras entre le malheur. Parfois tu pourras vaincre par la raison, et là où la raison ne sera pas suffisante, tu étourdiras par ta beauté. Énerve l’esprit, brise la force et même un cœur de bronze se fendra… Si tu auras des malheurs, de la souffrance ? La souffrance humaine est pénible, mais au cœur faible le malheur n’arrive pas. Et ton malheur, ma belle, sera comme un trait sur le sable : il sera lavé par la