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et, par moments, elle aspirait profondément, comme si son cœur était oppressé. Sa poitrine se soulevait et s’abaissait lourdement, telle une vague. Elle baissait les yeux, et ses cils noirs brillaient sur ses joues comme de fines aiguilles.

– Une reine ! fit le vieillard.

– Ma bien-aimée, murmura Ordynov, tressaillant de tout son corps.

Il se ressaisit en sentant sur lui le regard du vieillard. Ce regard brilla pour une seconde comme un éclair, avide, méchant, froid et méprisant. Ordynov voulait s’en aller, mais il se sentait comme cloué au sol par une force invisible. Il s’assit de nouveau. Parfois il se serrait les mains pour contrôler son état de veille, car il lui semblait qu’un cauchemar l’étranglait, qu’il était le jouet d’un rêve douloureux, maladif. Mais, chose étonnante, il ne désirait pas s éveiller.

Catherine enleva de la table le vieux tapis, puis ouvrit un coffre d’où elle sortit un tapis richement brodé de soie claire et d’or et en couvrit la table. Ensuite elle prit dans l’armoire une cave à liqueurs ancienne, en argent massif, ayant appartenu à son arrière-grand-père, et la plaça au milieu de la table ; puis elle prépara trois coupes d’argent, une pour l’hôte, une pour le convive et une pour elle. Après quoi, d’un air pensif,